Un soir de décembre 1897, Edmond Rostand, jeune auteur inconnu de 29 ans, tremble dans les coulisses du théâtre de la porte Saint-Martin : c'est la générale de Cyrano de Bergerac. Peu avant les trois coups Rostand se précipite vers Coquelin, comédien vedette, et s'excuse d'avoir jeté un tel talent dans une si désastreuse aventure…Trois heures plus tard, les acteurs épuisés observent avec stupéfaction le public en délire, réclamant l'auteur à grands cris pendant neufs longs rappels !

 

Ainsi débuta la renommée d'un personnage devenu légendaire, l'un des rares héros laids de notre littérature. Le vrai Cyrano, très exactement Savinien Cyrano de Bergerac, n'était pourtant pas tel que le décrit la pièce. Il était bien Cadet de Gascogne, habile à l'escrime, poète, mais son nez n'avait, semble-t-il, rien de démesuré et il n'aurait jamais mis les pieds à Bergerac... Et alors ? Rostand n'est pas historien, il a pétri ce personnage réel comme une pâte dans laquelle il injecte la fougue, la verve du Cyrano qui est parvenu jusqu'à nous sous les traits célèbres de Depardieu, Weber, Belmondo ou Huster.

Finalement, le vrai Cyrano n'est-il pas pour nous un nez "grand", comme disent les incultes, énorme, éléphantesque, une grande gueule qui veut oublier sa sale gueule, un être chez qui tout est immense, aussi bien le cœur que l'appendice nasal ? Savinien connaissait à peine sa cousine, Rostand fait de son Cyrano l'homme qui aime tant Roxane qu'il préfère s'effacer devant le beau Christian pour la rendre heureuse, un Roméo oublié par la nature qui chuchote son amour dans l'ombre d'un balcon pour faire la courte échelle au jeune premier et l'aider à cueillir un baiser, là-haut, à la lumière.

Il nous touche par sa fragilité secrète cachée sous une soif de vie, de combats, de mots, un tourbillon qui s'arrêtera trop tard, comme dans toutes les belles histoires, juste à côté du bonheur… Jacques Weber, un ex-Cyrano qui a mis la pièce en scène avec de jeunes acteurs en 2001, disait : "J'ai dit aux comédiens de s'amuser, de jouer comme s'ils avaient 40° de fièvre, jamais 37°". C'est cette passion insufflée au spectacle grâce à la fantaisie créative des vers de Rostand, simples mais justes, que l'on retrouve chez Gérard Depardieu dans le film de Jean-Paul Rappeneau, largement inspiré de la pièce. L'affiche, elle, montrait plutôt les failles du personnage : il marche dans la pénombre, seul, comme sous le balcon de Roxane. "Toute ma vie est là…" nous rappelle d'ailleurs Cyrano.

Du héros moqueur, gouailleur, meneur, blessé, généreux, amoureux, fou et sage, ne retenons donc qu'une chose : "Il y a malgré vous quelque chose Que j'emporte, et ce soir, quand j'entrerai chez Dieu Mon salut balaiera largement le seuil bleu Quelque chose que sans un pli, sans une tache J'emporte malgré vous Et c'est…mon panache"

 

MARIE-LINE